C'est avec cette citation, ainsi que la quatrième de couverture et un extrait (tous disponibles sur le site de Gallmeister) que je me suis laissée tenter par l'histoire.
Douglas Pike est de retour après des années d'absence dans cette bourgade des Appalaches où il vit de petits boulots, loin de son passé tumultueux. Son seul ami est Rory, un jeune boxeur qui rêve d'être repéré et de faire carrière mais doit pour l'instant se contenter de matches, parfois truqués, contre les étudiants d'université.
Alors que les deux hommes déjeunent tranquillement une jeune femme débarque accompagnée d'une gamine de douze ans, Wendy. Elle annonce alors à Pike que sa fille unique est décédée et qu'il doit dorénavant s'occuper de sa petite-fille et repart sans elle.
Au même moment, un flic pourri jusqu'à la moelle, Derrick, abat de trois balles un jeune homme noir dans la banlieue de Cincinnati. La ville se déchaine, les émeutes ne sont pas loin.
Bientôt, leurs chemins vont se croiser.
Benjamin Whitmer, est né en 1972 et vit à Denver (Colorado) où selon l'éditeur, il passe le plus clair de son temps à hanter les librairies et les stands de tir. Je n'en doute pas une seconde. Whitmer est tout sauf un citoyen américain lambda. En premier lieu, le romancier américain a choisi de remonter le temps, dans les années 80 à l'ère Reagan. En ce temps-là, on aime les armes et l'on s'en sert.
Ici, tout le monde est perdant, la classe ouvrière n'a pas goûté au bonheur américain. Bruce Springsteen accompagne tous les losers (amusant car je suis fan du chanteur aussi je connaissais les paroles), il s'adresse à tous ces laissés pour compte de l'Amérique triomphante. Et même si le héros se découvre une nouvelle raison de vivre en la personne de Wendy, celle-ci est déjà aussi désabusée à 12 ans que son grand-père à à peine cinquante ans.
"Une fois sobre, faut toujours faire ce qu'on a dit qu'on ferait quand on était bourré. C'est comme ça qu'on apprend à fermer sa gueule.
Pike se tourne vers lui (...) - C'est du Hemingway, dit Roy en souriant. C'est Wendy qui me l'a apprise. Ca colle pas mal, hein ? Même si j'étais pas bourré." (p.85)
C'est l'Amérique des perdants. Que ce soit les jeunes hommes noirs des banlieues de Cincinnati qui ne côtoient que drogues, gangs et violence ou les jeunes "white trash" ploucs blancs de la campagne - tous ont perdu tout espoir en leur pays. Ici point de joyeux "happy end", l'avenir n'est qu'une suite de déconvenues. La vie ne vous épargne pas et ne vous fait pas de cadeau.
Lorsque Pike s'embarque dans la chasse à l'homme, désireux d'apprendre qui a fourni à sa fille la dose mortelle de drogue, il sait qu'il n'en rapportera rien de bon. Tout au long de ce périple, l'homme se souvient de ses années au Mexique où il avait l'impression d'être au paradis. Le voilà soudainement chargé de l'éducation d'une gamine qui a grandi toute seule, fume et l'envoie balader.
Pike est un roman NOIR, ce n'est pas un polar, ici pas de victime, pas de flic ou de détective privé, pas d'enquête - ici pas de rédemption. Tragédie. La preuve ? Le seul flic de l'histoire est violent et corrompu jusqu'à l'os. Les balles fusent et les corps tombent. Ca déménage chez Whitmer.
"Alors écoute. J'ai jamais vu personne foutre en l'air sa vie dans les grandes largeurs sans se prendre pour quelqu'un de spécial. Et les trous à rats dans lesquels les types de ce genre se sont enterrés avaient exactement la forme de leurs rêves". (p.84)
Avec Whitmer, vous allez vous embarquer dans une virée qui vous fera parfois chavirer le coeur ou parfois vous fera hoqueter. Whitmer a son propre style, parfois brut mais aussi teinté de lyrisme comme lorsqu'il décrit les paysages de son pays. Ce pays immense qui ressemble encore à un western où on tire à peu près sur tout ce qui bouge et où l'ont croit qu'il faut toujours aller vers l'Ouest.
Les Appalaches, ça me parle - j'ai étudié dans une fac nichée dans une de ces montagnes au Tennessee. Je me souviens de ces bourgades que l'on traversait. L'été indien y était sublime mais honnêtement vous n'aviez jamais envie de vous arrêter dans ces bourgades. Pike m'y a ramené et je l'ai suivi, avec beaucoup de plaisir.
"Pike roule toute la nuit sur les petites routes. Puis toute la journée suivante. Traverse d'abord le Tennessee, puis l'Arkansas, jusqu'à presque ne plus en pouvoir. Ces montagnes basses et amples avec des logements pour esclaves derrière chaque ferme, où vous ne pouvez pas faire un pas sans écraser une pointe de flèche indienne sous votre botte. Et pas une seule des bourgades qu'il traverse ne lui donne envie de s'arrêter." (p.281).
Au salon du Polars à Lyon, une internaute a décrit Benjamin Whitmer ainsi "B.Whitmer a un sourire de loup et un regard bleu d'enfant." Elle a très bien résumé le livre. Et j'ai hâte de pouvoir soutenir ce regard mercredi prochain à la librairie où il est attendu ;-)
Pat Garrett and Billy The Kid - Sam Peckinpah |
Edit : J'ai donc rencontré le fameux Benjamin Whitmer il y a huit jours à la librairie Les Nuits Blanches. Je l'ai trouvé fatigué, il m'a répondu que c'était sa tête normale. Il possède 5 armes, en porte une quand il ne sent pas sécurité, fume et boit quand il n'a pas la garde de ses gosses. Déteste les pigs, les flics, il les fuit comme la peste. Ils ont tué son meilleur ami. Avoue une relation haine/amour avec les armes et son pays et aime se lâcher dans ses livres, on le croit. Whitmer ne croit pas au rêve américain. Il bosse pour vivre, sa nouvelle carrière de romancier ne suffit pas, et il n'a pas choisi la voie la plus facile. Car romancier, c'est une chose - mais auteur de romans noirs c'est être le chien qui mord la main du maître qui le nourrit. D'ailleurs, les chiens, il les aime pas beaucoup.
Quand je lui ai demandé d'où lui venait son inspiration, il m'a répondu que pour Pike, il avait rêvé la nuit d'une homme à forte carrure marchant dans les bois tenant à la main une petite fille.
Il a bien insisté sur le genre de ses romans : noir. C'est le coeur du système qui est pourri, ici pas de bon samaritain. Il y tient. Comme il l'a dit (c'est mieux en anglais) : "My books are all about tragedy. I want to break your heart".
Il est drôle, très drôle - accessible, sans concessions, sans fard. Loin du politiquement correct qui nous fait souvent bondir. Il vous regarde droit dans les yeux quand il vous dédicace son livre, enfin pour moi, ce fut à deux reprises (j'ai acheté son dernier Cry Father) - il apporte un vent d'ouest comme on les aime à Nantes. Hâte de lire son deuxième opus et un jour son troisième (il travaille lentement nous dit-il, mais ça parle de prison, d'évasion, des années 40...).
Et si vous doutez encore : il aime les bonnes choses et les bonnes gens : Sam Peckinpah (le réalisateur de La Horde Sauvage (Wild Bunch), Guet-apens et Junior Bonner avec McQueen, Les chiens de paille, Pat Garrett and Billy the Kid, etc.). J'ai vu et revu tous ces films avec mon père quand j'étais encore une gamine. Mon père m'a permis de découvrir cette autre Amérique.
Et Whitmer de lâcher qu'il aime aussi Johnny Cash, Waylon Jennings, Bob Dylan, Cormac McCarthy, Dennis Lehane et l'activiste John Brown.
Mama, take this badge off me
'cause I can't use it anymore
'cause I can't use it anymore
It's getting dark, too dark to see
I feel like I'm knockin' on heaven's door
I feel like I'm knockin' on heaven's door
Knock, knock, knockin' on heaven's door
Knock, knock, knockin' on heaven's door
Knock, knock, knockin' on heaven's door
Knock, knock, knockin' on heaven's door
Mama, put that gun to the ground
'cause I can't shoot them anymore
There's a long black cloud comin' on down
I feel like I'm knockin' on heaven's door
Bob Dylan, original song from Pat Garrett and Billy The Kid's movie (Sam Peckinpah)
Vous l'aurez compris : une rencontre à la hauteur de mes espérances et une forte envie de lire son deuxième roman ;-)
J'aime ton enthousiasme :) et ta façon de crier ton amour pour l'auteur, son œuvre : c'est exactement ça la lecture, faire vibrer, vivre, partager. Tu imagines bien que j'ai hâte de me plonger dans ce Pike !
RépondreSupprimerMerci ! J'ai eu de la chance de le rencontrer si peu de temps après ma lecture... et tu avoues qu'il a très bon goût, non ? Depuis, j'y pense pas mal...
SupprimerJe viens de finir un autre livre et gros coup de coeur également !