C'est en allant fouiller dans une de mes boutiques de livres d'occasion que j'ai déniché Kitchen - le premier succès littéraire de Banana Yoshimoto (吉本 ばなな). J'ignorais quand j'ai entrepris la lecture qu'à la fin du livre, se cachait une nouvelle, Moonlight Shadow. Une pépite.
Le roman raconte l'histoire d'une jeune étudiante, Mikage, qui après avoir perdu ses parents enfant, se retrouve orpheline à la mort de sa grand-mère. Elle est "sauvée" par un étudiant, Yûichi Tanabe, qui l'invite à venir vivre chez lui. Il vit dans un appartement avec sa mère Eriko, qui travaille dans le monde de la nuit et adore dépenser son argent dans de l'électroménager. Très vite Mikage va découvrir que la mère du jeune homme, est en fait son père, qui vit désormais en femme et a choisi d'élever son fils ainsi. Mikage va très vite s’accommoder de ce mode de vie peu commun car elle va y trouver un véritable cocon, qui va lui permettre de mieux vivre son deuil. Mikage se découvre une passion pour la nourriture, synonyme de contrôle (contrairement à sa vie qui lui joue des tours) et de vie (légumes, parfums, texture, goût) qui va lui permettre de rebondir et aider à son tour son nouvel ami.
J'aime le Japon, je rêve d'y voyager un jour. J'ai découvert la culture japonaise à travers des documentaires, des films mais je connais encore très peu le domaine littéraire, si ce n'est la vision d'Amélie Nothomb. Aborder le thème du deuil était un choix audacieux pour la romancière (le livre a été écrit dans les années 60), et pour moi, un témoignage de plus sur cette culture où les japonais vivent leurs émotions intérieurement, toujours dans la retenue. On est très loin du deuil où l'on hurle, crie, pleure et où les gens se serrent dans les bras, se touchent.
J'ai aimé la manière dont a été dressé le portrait d'Eriko - dans un pays très conformiste, parler ainsi d'un transsexuel était très audacieux, la "famille" peut donc exister en dehors du schéma courant. De plus, le style de l'auteur est toujours empreint de légèreté. J'ai ainsi eu, lors des premières pages, le sentiment d'être une sorte de fée Clochette, me faufilant par une fenêtre dans leur appartement, où pour vivre heureux, il faut vivre caché.
Mon seul reproche vient tout simplement de la manière dont l'auteur décrit ce deuil - la jeune femme est évidemment très émotive, et à fleur de peau, elle passe souvent d'une émotion à une autre, d'une état euphorique à un état dépressif. Mais cela frise parfois à un véritable non sens. J'ignore si cela vient de la traduction, mais cela m'a empêché de profiter pleinement du plaisir de la lecture.
Ainsi, à un instant, la jeune femme se retrouve seule, et sent tout le poids du monde sur ses épaules, mais à la phrase suivante, elle se sent au contraire toute joyeuse. Ayant vécu trois deuils en moins d'une année, je sais ce que sait et là, je n'ai pas compris ce "grand-huit" des sentiments. L'auteur joue à ce jeu des contraires au moins cinq fois dans son roman, sans jamais expliquer comment l'héroïne passe d'une extrême à l'autre. J'ai donc peu à peu lâché l'histoire. J'ai bien fini de lire le roman, en moins de deux jours (en cinq ou six trajets au travail) mais j'étais un peu déçue car j'avais vraiment aimé le début. Par contre, j'ai vraiment envie de lire d'autres œuvres de cet auteur. ♥♥
Et puis j'ai découvert la seconde nouvelle, Moonlight Shadow - et là j'ai adoré, pourtant elle ne fait qu'une dizaine de pages ! A nouveau l'auteur choisit le thème du deuil, mais qu'elle teinte ici d'une touche de surnaturel. La jeune femme ne se remet pas de la mort accidentelle de son premier amour, et elle retourne sans cesse sur le pont, où ils se quittaient chaque jour, chacun partant de son côté. Puis une mystérieuse rencontre va permettre à la jeune femme de faire son deuil. Je n'en dirais pas plus, mais là j'ai vraiment accroché. Car j'aime le style, cette légèreté, ce sujet grave traité tout en filigrane. J'ai vraiment beaucoup aimé. (PS : à ne pas confondre avec Guillaume Musso, dont je n'aime le style littéraire).
♥♥♥♥
♥♥♥♥
J'ai enchainé avec un livre complètement différent : l'Adversaire d'Emmanuel Carrère. J'avais entendu parler de ce livre, à plusieurs reprises. L'ayant également trouvé en livre d'occasion, et ayant aimé D'autres vies que la mienne, je n'ai pas hésité. Même si le sujet est très pessimiste : l'auteur raconte ici l'assassinat par Jean-Claude Romand de son épouse, ses deux enfants (de 5 et 7 ans), de ses parents, de la tentative d'assassinat de sa maitresse et enfin de sa vraie/fausse tentative de suicide. Ce crime odieux avait fait les choux gras de la presse à l'époque (1993). Cet homme avait en effet tué sa famille alors que le château de cartes qu'il s'était construit pendant près de vingt ans menaçait de s'effondrer. Étudiant en médecine, il s'était inventé une carrière de médecin célèbre, travaillant pour l'OMS à Genève, côtoyant les plus grands médecins et chercheurs mondiaux. Et ce mensonge a fonctionné, comme tous les autres d'ailleurs, il prétendait ainsi être atteint d'un cancer, ou avoir accès à des comptes bancaires suisses très avantageux, pillant ainsi de leurs revenus toute sa famille, sa belle-famille ou ses amis. Un homme tellement doué à maquiller la vérité qu'il en est devenu presque monstrueux. Dr Jekyll et Mr.Hyde. Personne, ni même son meilleur ami, ne soupçonnera un seul instant la machinerie infernale qu'a mis en place Romand. Incapable d'affronter un premier mensonge, il finira par tuer tous ses proches plutôt que d'affronter leur regard, et leur jugement.
Emmanuel Carrère avait entamé une étrange correspondance avec ce tueur, et son livre raconte à la fois la vie de cet homme, et leur rencontre improbable. L'auteur, père de famille, ne pourra jamais pardonner cet homme qui s'est perdu dans le faux, et ne cesse de s'inventer une vie, un passé, refusant de se regarder en face. Entendu par plusieurs psychiatres (une centaine d'heures d'expertise), l'un d'eux conclut à la fin que Romand n'a jamais fini d'écrire "son roman narcissique" - j'ai trouvé le choix de mots très judicieux. L'accusé s'appelle Romand, comme s'il était condamné à romaniser sa vie, à refuser d'être le fils d'un forestier jurassien. Il rêvait de grandeur, et saura duper tout le monde.
J'avoue qu'en lisant ce livre, je me suis posée plusieurs fois la question (comme Carrère), comment personne, dans son entourage, n'a jamais douté de ses propos, comment sa femme a accepté de ne jamais l'appeler directement à son travail, de ne jamais s'y rendre, de ne jamais questionner ces rentrées d'argent, leur maison bourgeoise, leur 4X4 de luxe - parait-il qu'il s'est inscrit douze ans de suite en deuxième année de médecine ! Un record, et qu'il falsifiait ses déclarations de revenus - à sa femme, il disait qu'il ne payait pas d'impôts car il travaillait en Suisse, et aux impôts, il glissait sa carte d'étudiant. Fou, non ?
Je ne peux pas cacher qu'à la lecture de cette histoire (j'ai lu le roman en moins d'une journée), je n'ai pas pu m'empêcher de penser au crime odieux commis dans ma ville par Dupont de Ligonnès. Cet homme, même s'il n'avait pas créé toute une vie parallèle, voulait également mener une vie de bourgeois sans en avoir les moyens, roulait à bord d'un 4x4, avait également emprunté de l'argent aux membres de sa famille, à sa maitresse, et peu de temps avant l’assassinat de son épouse et ses enfants, avait inventé une histoire rocambolesque, de témoins d'un crime sous la protection du FBI. Et comme si, il ne pouvait pas affronter la réalité d'un échec, il a préféré assassiner les siens et disparaitre.
J'imagine que le jour où Romand sortira de prison (d'ici peu), il se "réinventera" un passé, car pour moi, ces hommes sont atteint d'une maladie étrange, qui les empêche d'assumer leur propre personnalité (Carrère racontait qu'il n'assumait pas être "un mec moyen, ni moche, ni beau, qui ne savait pas charmer une audience comme son meilleur ami ou plaire aux femmes) et qui choisissent le mensonge pour se rendre intéressant et avoir enfin du succès. Je repense à une amie de ma sœur, qui enfant avait choisi le mensonge. En maternelle, elle avait même menti en déclarant que son père la battait (avec enquête de la DDASS et mes parents témoins). Elle avait choisi ce mode de fonctionnement et des années après, ma sœur l'a croisée à nouveau et a découvert qu'elle mentait toujours. Fort heureusement, certaines personne vont à l'âge adulte se contenter de petits mensonges. Mais d'autres, mythomanes, entraineront leurs proches dans leur chute.
J'ai, vous l'aurez compris, beaucoup aimé le livre, l'analyse, la retenue, le style d'Emmanuel Carrère. ♥♥♥♥
Et pour finir sur une touche, plus gaie, une planche de Betsy Bauer, si vous aimez comme moi, les félins, vous allez craquer !
Emmanuel Carrère avait entamé une étrange correspondance avec ce tueur, et son livre raconte à la fois la vie de cet homme, et leur rencontre improbable. L'auteur, père de famille, ne pourra jamais pardonner cet homme qui s'est perdu dans le faux, et ne cesse de s'inventer une vie, un passé, refusant de se regarder en face. Entendu par plusieurs psychiatres (une centaine d'heures d'expertise), l'un d'eux conclut à la fin que Romand n'a jamais fini d'écrire "son roman narcissique" - j'ai trouvé le choix de mots très judicieux. L'accusé s'appelle Romand, comme s'il était condamné à romaniser sa vie, à refuser d'être le fils d'un forestier jurassien. Il rêvait de grandeur, et saura duper tout le monde.
J'avoue qu'en lisant ce livre, je me suis posée plusieurs fois la question (comme Carrère), comment personne, dans son entourage, n'a jamais douté de ses propos, comment sa femme a accepté de ne jamais l'appeler directement à son travail, de ne jamais s'y rendre, de ne jamais questionner ces rentrées d'argent, leur maison bourgeoise, leur 4X4 de luxe - parait-il qu'il s'est inscrit douze ans de suite en deuxième année de médecine ! Un record, et qu'il falsifiait ses déclarations de revenus - à sa femme, il disait qu'il ne payait pas d'impôts car il travaillait en Suisse, et aux impôts, il glissait sa carte d'étudiant. Fou, non ?
Je ne peux pas cacher qu'à la lecture de cette histoire (j'ai lu le roman en moins d'une journée), je n'ai pas pu m'empêcher de penser au crime odieux commis dans ma ville par Dupont de Ligonnès. Cet homme, même s'il n'avait pas créé toute une vie parallèle, voulait également mener une vie de bourgeois sans en avoir les moyens, roulait à bord d'un 4x4, avait également emprunté de l'argent aux membres de sa famille, à sa maitresse, et peu de temps avant l’assassinat de son épouse et ses enfants, avait inventé une histoire rocambolesque, de témoins d'un crime sous la protection du FBI. Et comme si, il ne pouvait pas affronter la réalité d'un échec, il a préféré assassiner les siens et disparaitre.
J'imagine que le jour où Romand sortira de prison (d'ici peu), il se "réinventera" un passé, car pour moi, ces hommes sont atteint d'une maladie étrange, qui les empêche d'assumer leur propre personnalité (Carrère racontait qu'il n'assumait pas être "un mec moyen, ni moche, ni beau, qui ne savait pas charmer une audience comme son meilleur ami ou plaire aux femmes) et qui choisissent le mensonge pour se rendre intéressant et avoir enfin du succès. Je repense à une amie de ma sœur, qui enfant avait choisi le mensonge. En maternelle, elle avait même menti en déclarant que son père la battait (avec enquête de la DDASS et mes parents témoins). Elle avait choisi ce mode de fonctionnement et des années après, ma sœur l'a croisée à nouveau et a découvert qu'elle mentait toujours. Fort heureusement, certaines personne vont à l'âge adulte se contenter de petits mensonges. Mais d'autres, mythomanes, entraineront leurs proches dans leur chute.
J'ai, vous l'aurez compris, beaucoup aimé le livre, l'analyse, la retenue, le style d'Emmanuel Carrère. ♥♥♥♥
Et pour finir sur une touche, plus gaie, une planche de Betsy Bauer, si vous aimez comme moi, les félins, vous allez craquer !
Bien aimé le roman moi aussi (d'ailleurs cela me fait penser que ça fait trop longtemps que je n'ai rien lu de japonais, il est temps d'y remédier !)
RépondreSupprimerLes mimiques du petits chat sont juste à croquer, la dessinatrice a du talent, et je suis toute gaga devant mon écran :)
Merci, oui, mon chat a joué une fois avec une pelote de laine, elle avait réussi à créer une véritable toile d'araignée ;)
SupprimerJ'ai vu ta wishlist de livres, waow !
j'ai lu l'adversaire quand il est sorti, et j'en avais pensé la même chose que toi, sur le livre et son auteur. puis je viens de lire un roman russe, où carrère dévoile des pans de sa vie très privée, et je n'ai plus du tout la même vision de lui ! il se montre égoïste, égocentrique, arrogant, méprisant (envers sa copine qui n'est pas du même milieu que lui et qui lui fait honte avec ses expressions du peuple commun, comme "poser ses congés" et d'autres trucs dans le genre (!)) je le trouve incroyablement indécent et indélicat quand il parle de cette femme qui l'a trompé... la pauvre j'imagine sa tête quand le livre est sorti et que son adultère a été révélé à toute la France ! et j'ai trouvé sa nouvelle érotique complètement ridicule, comme un gamin coincé qui se force à en écrire une, ça sonne pas du tout vrai, même si tout ce qu'il décrit est vécu ! et il comprend pas la réaction de ses parents et proches quand ceux-ci découvrent sa vie sexuelle dans Le Monde... bref ce type m'a l'air très spécial... mais je suis très tentée par "d'autres vies que la mienne" où justement, il arrête de parler de lui pour se consacrer aux autres, ce qui lui réussi mieux.
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu "Un Roman Russe", merci donc pour l'info ! Mais bizarrement ça ne m'étonne pas, cet auteur a toujours pris le pari de parler de lui, de raconter sa vie. "D'autres vies que la mienne" n'y échappe non plus, car il parle d'amis à lui - bon moins de lui, mais toujours lui en narrateur.
SupprimerIl y a une partie un peu longue (sur le juge) mais sinon oui j'avais bien aimé.